Perdue dans ses pensées, elle s'amuse à appuyer le bout de ses doigts sur le parchemin qu'elle étudie, et le papier adhère à sa peau. Elle tend le bras pour s'emparer d'un gobelet, remplit d'eau et de glaçons, et elle sirote le liquide frais en posant ses lèvres au bout d'une paille. Puis elle saisit sa plume, et soupire un bon coup. La paperasse, ce n'est pas vraiment son truc. Mais c'est un passage obligatoire si elle veut être acceptée à Heartwood University. « Voyons voir... ». La plume gratte le papier cependant qu'elle tente de renseigner un maximum d'informations. Dans la case "année d'étude", elle inscrit "3e année, cursus long". Métier visé? "Auror de second échelon". Elle esquisse un sourire. Certaines personnes ont des idéaux. Johanne est l'un d'entre eux. Se battre pour le bien, quoi de plus noble? « Ensuite... Matières obligatoires... ». Pour elle, ça sera donc "Potions", "Défense Contre les Forces du Mal" et "Sortilèges et Enchantements". « Matières optionnelles ». "Art du Combat Magique", "Métamorphose" et "Art Occultes et Magie Noire". L'étude des runes, c'était bien, aussi... Mais tant pis. Autant ne pas surcharger son emploi du temps. Son regard glisse sur le parchemin. « C'est là que ça se gâte ». Ancien établissement? "Université de Hambourg, Allemagne". Et auparavant: "École de sorcellerie secondaire de l'union des pays du nord". Motif de la dérogation? « Mouais. Ça il fallait s'y attendre ». "Je sais saisir les bonnes opportunités". Simple, pertinent, efficace. La véritable raison, c'est juste sa soif de découverte. Une capitale internationale dédiée au monde magique, ça ne pouvait pas se passer sans elle. C'est la petit fille rêveuse, tapie au fond d'elle, qui l'a poussée à s'y engager. Elle parcours en diagonale le reste des informations. « C'est tout? Bon... Tant mieux ». Une dernière gorgée d'eau fraîche, et le parchemin est roulé puis cacheté à la cire.

Deux jambes recouvertes d'un collant noir opaque, des botes en daim et deux mains crispées sur le papier, de chaque côté. C'est tout ce qu'on peut voir de Johanne, le reste étant dissimulé derrière un journal en grand format. Le genre qu'on balance nonchalamment, tout froissé, sur la table d'un café, et qui vous laisse des traces d'encre sur les doigts. Sauf que sur les pages de celui-là, les personnages des images bougent. Le Petit Calamar est la revue sorcière en vogue dans la capitale.
Elle aime bien s'asseoir ici pour lire son quotidien. C'est un endroit particulier pour faire sa lecture, mais c'est pour ça qu'il lui plaît. Les jambes dans le vide, assise sur le bord du toit d'un immeuble. Non, Johanne n'est pas de ces sorcières insouciantes qui se fichent du regard des Moldus. Elle l'a bien vérifié, d'en bas, on ne peut pas la voir. Tant mieux. De toute façon, c'est toujours mieux que d'afficher aux yeux de tous ces ignorants des photos ensorcelées.
Son regard quitte les lignes un instant, pour se poser sur un pigeon solitaire. Celui-là vient lui rendre visite. « Dégage, machin-chose ». Elle le chasse d'un coup de pied circulaire, puis secoue son journal pour le défroisser. Elle reprend sa lecture, sourcils légèrement froncés.
Bien-sûr, c'est Wincap qui fait la Une. La nouvelle toute fraîche ne cesse de provoquer des remous dans le monde des sorciers. Même ici, dans ce petit pays tellement calme... Pourtant, ce n'est pas cela qui intéresse notre petite rousse. Ses yeux sont rivés sur un tout autre sujet, tout en chiffres et statistiques.
C'est une étude du Danemark Sorcier. Sur le papier, plusieurs courbes et diagrammes magiques déroulent lentement leurs formes. On y fait état du nombre de sorciers dans le pays. Pas très élevé. "Moins de 2% de la population totale serait pourvue d'un don pour la magie". Johanne lève un sourcil. « Y a de quoi se sentir privilégiée ».
Elle poursuit, moins parce que les chiffres la passionnent que parce que l'article réveille son sens critique. "Le Danemark est, de nos jours, l'un des pays les plus conservateurs". Yeux au ciel. « Tu m'étonne... ». Le truc, dans ce petit pays du nord, c'est que si vous rencontrez un sorcier, il y a deux chances sur trois pour qu'il s'agisse d'un sang-pur. Et ceux-là gardent farouchement leurs valeurs ancestrales. Ainsi, les mariages de sang ne sont pas rares. On se marie pour préserver la pureté, pas par amour.
Soupir. Elle froisse les pages jusqu'à faire du journal une grosse boule, puis jette le tout derrière elle. Heureusement, toutes ces conneries ne la concernent pas vraiment. Elle, elle fait partie des "autres". Oh non, ce n'est pas une née-moldue. Encore heureux. Bien qu'ils soient de plus en plus nombreux (allez savoir pourquoi), ce n'est pas un statut très bien vu. Non, elle, c'est une sang-mêlé. Une bâtarde, comme diraient d'autres. Le problème, c'est qu'elle s'est toujours sentie exclue du monde des sorciers. Et pourtant, par Merlin si elle l'aime, cet univers.
Sa mère était une sorcière. Une sang-pur, même. Mais le genre rebelle, totalement loufoque. Elle fréquentait volontiers les Moldus par défi, pour faire enrager ses parents. Elle a été prise à son propre jeu lorsqu'elle est tombée enceinte de l'un d'entre eux. Mais elle n'était pas vraiment faite pour être mère. C'est pourquoi elle a laissé la vie de l'enfant entre les mains de son père, un Moldu qui n'a rien demandé à la vie. De sa mère, elle ne sait pas grand-chose. Et ça lui convient parfaitement.
Elle sourit en songeant à son père. Il s'en est plutôt bien sorti, le bougre... Non, honnêtement, il s'est révélé un excellent père. Juste... Un rien trop normal. Il lui à donné tout l'amour que requiert une petite fille curieuse. Ne connaissant rien au monde de la magie, il s'est contenté de l'élever comme une de ses semblables. En fait, il ne savait même pas que sa fille était une sorcière. « Pauvre vieux... ».
Johanne était inscrite à l'école du quartier, et tout semblait pour le mieux. Pourtant, les signes étaient là. Tous les parents sorciers savent qu'il y a des phénomènes étranges, des accidents inexpliqués, autour de leurs petits dotés de pouvoirs magiques. Mais quand on ignore tout de ce monde caché qu'est celui des sorciers, il n'est pas facile de les déceler. On ferme les yeux, on se refuse à admettre les choses les plus évidentes... Par peur de devenir fou. De plus, Johanne était une petite fille assez secrète, qui n'osait pas confier ses doutes et ses questions à son père, de peur qu'il pense qu'elle est bizarre.
Consciente que quelque chose clochait chez elle, mais refusant de le faire savoir, Johanne était une gamine timide et renfermée. Socialement handicapée, elle n'avait pas d'ami, parce qu'elle ne savait jamais comment réagir avec les enfants de son âge. A vouloir tant cacher ses bizarreries, elle adoptait un comportement de façade qui la mettait mal à l'aise. A la maison, elle se contentait d'être sage et obéissante, pensant que cela pardonnerait ses défauts.
Et puis un beau jour, son petit monde explosa en morceaux. Johanne avait onze ans.

Il suffit d'une lettre pour tout changer. La première qu'elle reçut termina dans la poubelle. Son père pensait qu'il s'agissait d'une publicité saugrenue, d'un attrape-nigaud de mauvais goût. Qui donc pouvait accuser sa fille d'être une sorcière? C'était ridicule. Mais une seconde, puis une troisième, et ainsi de suite suivirent. Et par une belle journée ensoleillée, on frappa à la porte. C'était un employé du gouvernement magique, envoyé spécialement pour prendre en charge les parents moldus d'enfant sorciers. Pendant qu'il s'entretenait avec son père, Johanne tentait de les écouter, soigneusement caché derrière un coin de mur. A travers la vitre de la porte de la cuisine, elle voyait cet homme étrange qui faisait de grands gestes avec ses mains, et le visage de son père, qui se décomposait.
Et tout s'enchaîna très vite. Sans qu'elle eut le temps de le réaliser, elle se trouvait sur le pont d'un navire, affublée d'une énorme valise, en partance pour une île perdue au milieu de la brume. C'est sur ce bout de rocher qu'elle poursuivit ses études de magie et se découvrit en tant que sorcière... Mais pas que. La petite fille timide et terrifiée s'envola peu à peu. La réponse à toutes ses questions était là, et désormais, elle n'avait plus rien à craindre. L'école de magie de métamorphosa. Elle devint au fil des années une adolescente rebelle sur les bords, avec une langue bien pendue et un caractère de feu, prenant sa revanche sur la vie. Le monde de la magie l'enchantait.
Automne après automne, la fin de sa scolarité approchait. Et elle envoyait bouler tous ceux qui avaient le malheur de lui demander ce qu'elle voulait faire plus tard. Si ça ne tenait qu'à elle, elle serait restée une étudiante, éternelle adolescente, toute sa vie. Mais plus le temps passait, plus on la pressait de faire un choix.
Son désir le plus cher était de faire partie, un jour, pleinement et entièrement, de ce monde décalé qu'était l'univers des sorciers. Pour le malheur de son père, qui commençait à se faire des cheveux blancs, ce qui l'attirait, c'était d'utiliser sa magie pour la cause sorcière. Un temps, elle songea à devenir Oubliator, pour protéger ce secret qu'elle avait tant de mal à garder étant enfant. Mais son coeur se brisait à cette idée. Non, il lui fallait autre chose. Pour avoir eu le né fourré dans des bouquins une grande partie de son enfance, cela avait suscité en elle le désir d'accomplir quelque chose de plus héroïque.
Alors elle s'était inscrite à l'université et avait commencé de longues études pour parvenir à son but: Devenir Auror de second échelon. Mais ça, c'était avant Wincap. Un petit sourire naît sur ses lèvres. C'est presque trop beau. Un nouvelle extraordinaire, qui arrive à point dans la vie d'une fille qui n'attend que ça. Une chance inespérée.

Elle tourne la tête, jette un coup d'oeil au journal roulé en boule. Demain. C'est promis, demain, elle remplit ces foutus papiers. Et ensuite, elle fait sa valise, direction Wincap.
 

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