Loki est né à Norwich et y a grandi jusqu'à ses neuf ans, âge auquel on l'arracha des griffes de sa mère abusive. Leur relation fut toujours très conflictuelle ; sa génitrice tomba dans les affres de l'alcool à la mort de Fenrir Greyback, et ne pardonna jamais à Loki d'être né sans le don de la lycanthropie. Ainsi le jeune homme alla de familles d'accueil en familles d'accueil, jusqu'à ses 16 ans environ. Lorsque, trop usés par le caractère rebelle et difficile de Loki, les foyers lui proposant de l'aide s'amenuisèrent. C'est ainsi qu'il revint vivre à Norwich auprès de sa marâtre, s'affirmant néanmoins toujours un peu plus dans son rôle de mâle viril et déterminé et avide de prendre le pouvoir de la meute Greyback.
Il alla entre temps à Poudlard et ne put que se convaincre qu'il n'était pas fait pour les études. Cependant soucieux de l'avenir de sa meute, l'héritier Greyback écouta les conseils avisés de ses amis les plus proches : sans doute était-il préférable de poursuivre son cursus à l'université de Heartwood une fois ses ASPICs en poche. Car il s'avérait nécessaire d'imposer et de faire survivre la meute par la voie diplomatique, puisque le monde sorcier se refusait à un rapport de force (lequel aurait de toute évidence mis à mal le microcosme des Greyback)
Loki travailla dur, auprès d'amis volontaires et soucieux de sa réussite, afin d'entrer à l'université et de redresser son niveau. Certes il ne demeure pas le meilleur étudiant de sa promotion, mais se bat continuellement pour rester à flot. Il entame sa 4ème année de spécialisation à la rentrée prochaine, afin de devenir Responsable de Département du Ministère, ou tout du moins diplomate du monde magique. Sa volonté d'être le lien entre l'univers sorcier et sa meute est si puissante qu'il ne saurait baisser les bras malgré les difficultés rencontrées. Recouvrer et développer les droits des garous, voilà ce qui anime véritablement Loki. Quand bien même son envie est utopique, il lui restera toujours - et hélas - la violence pour y remédier.
C'est dans le but de concrétiser ce projet louable que Loki s'installa à Wincap. Bien peu à son aise dans une ville pourtant aussi mirifique, le jeune homme se doit de prendre sur lui et de respecter les règles.
J'aurais voulu être la pointe glacée d'une brise, un écho perdu dans l'immensité chaotique, le reflet du soleil dans une de ces gouttes d'eau gorgeant notre terre mère. L'emprunte d'une patte de loup qui malaxe la boue de ses griffes acérées, museau pointant au Nord pour mieux goûter la brise. Je n'étais que chair et sang ancrée dans l'insolence de l'humanité. Je ne suis pas né... Je me suis imposé à la vie en détournant le destin que l'on avait tissé pour moi. Enfant-loup, enfant-roi, enfant qui aurait du naître lycanthrope ; la bénédiction de la meute, la malédiction des simples mortels. Je naquis humain, fils d'un couple de loup-garous. Ma seule erreur fut d'étouffer des sanglots de bambin une fois extirpé du ventre de la matriarche ; on me condamna de ne pas avoir jappé sitôt le souffle de vie insufflé en mes veines. Et l'on me condamna longtemps ; maudit par les regards de ma meute, j'en sortais pourtant grandi. Loup dans la bergerie ou prédateur parmi les siens. Ce monde suinte les vices et l'hypocrisie, ainsi je décidai de m'ériger fièrement sur les cendres de la bonté humaine. Humainement désespérant, désespérément humain.
Je suis intolérant, violent, impulsif, carnassier, sauvage. Mais je vous veux du bien./!\ Volontairement, les anecdotes ci-dessous ne sont pas organisées de façon chronologique.1. GenèseNorwich, 14 Juin 1993
Recroquevillé dans l'antre chaude de ce cocon de chair, j'écoutais le monde extérieur mais aspirais déjà à ne pas exister. Ma perspicacité avait déjà fait son nid dans mon petit corps de nourrisson, quand d'une oreille innocente j'entendais les sons enjoués résonnant contre le ventre maternel. Ces voix nasillardes agressaient mes tympans, quand prostré je me refusais de venir les rejoindre. Tous, acclamaient le fils prodigue et scandaient à qui voulait l'entendre que le chef de meute en ce ventre rond était endormi.
« Le digne fils de Fenrir ! Puisse-t-il guider notre meute vers une gloire retrouvée ! » « Il naîtra loup... Il naîtra loup. » ne cessait de souffler ma mère tout en frottant sa main lourde contre ses courbes rebondies, persuadée qu'aucun être humain ne pourrait s'extirper de sa chair. Et je grondais, muet et frêle, dans le ventre maternel, ne souhaitant pas suivre cette destinée qu'ils bâtissaient pour moi. Je les exécrais, je les vomissais, je les méprisais de m'aduler autant. Enfant roi jetant sa couronne à terre, trop lourde pour son crâne encore fragile et pourtant plein d'appréhensions. On gueulait au dehors que l'héritier de Fenrir viendrait au monde le museau humide et le regard fier, qu'aucun sorcier ne saurait être toléré... Mais combien de chances avais-je de posséder en mon corps les gênes de la lycanthropie ; un don pour la meute qui devait s'avérer inné. Je vociférais en dedans mes doutes et ma bataille : sauvage avant l'heure, je ne souhaitais pas rentrer dans leur moule... Ou peut-être l'espérais-je si ardemment au contraire, que je préférais me voiler la face en cas d'échec.
« Il arrive, préparez les linges ! » Les flots grondent, s'agitent, me menacent. Des mains étrangères m'agrippent et me secouent ; je les hais de m'avoir extirpé de la chaleur maternelle. Ici, la brise glaciale me mord les épaules, le bruit incessant me lacère les tympans, des senteurs inconnues agressent mes narines. L'odeur de vieux chênes et d'herbe humide, la moisissure du bois et la puanteur animale. Un son grossier s'échappe de mes lèvres féroces.
« Il pleure... » se désole alors l'une des femmes ici présente. Son regard abattu se pose sur ma mère qui jusque là jalouse et possessive me repousse dans une moue de dégoût avant de me secouer.
« Jappe, sale bâtard ! Jappe ! » « Il reste le fils aîné de Fenrir et son héritier. » siffle une vieille femme, regard vitreux et rides marquées, avant de s'approcher de la mère ingrate et de m'arracher de ses mains.
« Ecris-lui pour lui faire part de la grande nouvelle. Mais tue ton fils et nous devrons te tuer à ton tour. Car le code de la meute est formel. » L'octogénaire fielleuse darde la jeune mère de ses prunelles glacées. Elle a beau ne pas être la femelle dominante, on la nomme « Sage » pour les conseils avisés et l'expérience qu'elle prodigue. Plaquant le nourrisson contre son sein, elle tourne les talons sous le regard abattu de ses comparses.
2. AbandonSainte-Mangouste, 24 Octobre 2002
« Nous avons su réparer la fracture, son bras n'a plus rien. Il est comme neuf, pas vrai mon garçon ? » L'homme aux cheveux grisonnants posa ses yeux chaleureux sur ma face glabre et impassible. Du haut de mes neuf ans j'avais déjà les traits marqués par la maturité, la rudesse de la vie et ses terribles épreuves. Le cheveu couleur corbeau, le regard sauvage, la bouche sanguine, j'avais ce teint cadavérique qui rappelait à la moiteur des tombeaux. Ma silhouette squelettique marquait ici et là quelques griffures et autres morsures prononcées, quand mes côtes osseuses crochetaient le peu de chair fixé à ma carcasse... Je demeurais un sorcier, mais je n'en étais pas moins animal. Captif d'une mère louve posant sur moi un regard torve et dégoûté, à l'haleine alcoolisée et au teint cireux, haïssant son unique enfant au moins autant qu'elle adulait sa bouteille de whisky. Femme du grand feu Fenrir, elle vivait les affres de la déchéance, dégringolant de jour en jour et perdant de sa splendeur sous le joug de la honte. La honte, de ne pas avoir donné d'enfant loup à son loup-garou de mari. Sa mâchoire se crispa lorsqu'elle accrocha la lueur chaleureuse brillant dans l'oeil du médecin, avant de me toiser d'une oeillade dédaigneuse. Comment pouvait-il avoir autant de considération pour cet enfant, cet ersatz d'être humain, ce moins que rien... Indifférent face au mépris de ma génitrice, j'excellais dans le jeu du miroir lorsque je me plaisais à lui renvoyer en pleine figure les flots de dégoût qu'elle avait à mon encontre. Balançant mes pieds avec insouciance, j'attendais, inattentif, les dires du toubib qui enfin me libéreraient de ma geôle. Je détestais être enfermé, me sentir entre quatre murs m'oppressait et plombait ma poitrine de mille javelots douloureux. L'appel de la nature, plus que jamais, faisait de moi un enfant sauvage et indomptable. Sorcier ou non.
« Bien, Loki... » « Maytook. » grogna ma mère envers le médicomage.
« Loki. » réitéra-t-il sans s'occuper des glapissements aigris de sa cliente.
« Tu aurais pu le tuer, tu le sais ça ? » Ses yeux émeraude se plantèrent dans les miens, fouillant mon âme comme il me tendait la main en se montrant si chaleureux. Attendant une réponse qui ne venait pas, le médicomage dut reprendre son élan dans une sorte de diarrhée verbale agaçant ma mère.
« Le psychomage m'a apporté le bilan de ta personnalité, veux-tu qu'on le lise ensemble ? » Lèvres closes et regard droit, je provoquais cet homme pourtant amical en refusant de céder à la coopération. Ainsi se contenta-t-il d'éclaircir sa gorge dans un dernier raclement, et d'ouvrir un dossier portant le logo de Sainte-Mangouste.
« Tu es un garçon très intelligent, à l'esprit vif et affûté... Mais doté d'une grande propension à la violence et l'agressivité.... Comment ça se passe, à la maison ? » « Qu'est-ce que c'est que ces questions ? » s'offusqua Mme Greyback, regard fielleux et grognement assassin.
« Mme Greyback je vous serais gré de ne pas interrompre notre entrevue, sans quoi je vous demanderai d'attendre en dehors du bureau. » La louve garou se rembrunit avant de se tasser dans sa chaise et de me lancer un regard défiant. Celui que je connaissais tant, celui que je connaissais trop : celui qui m'invitait à ne rien faire ou dire qui ne puisse la froisser, sous peine de remontrances violentes. Mes yeux fauves se posèrent de nouveau vers le médicomage, et d'un naturel déconcertant je murmurais avec audace et assurance :
« Ça s'passe pas. » Ni une véritable réponse, ni un réel silence. Aussi frustrant pour un camp que pour l'autre... Le médicomage soupira avant de pointer rapidement du doigt un énorme hématome narguant mon bras squelettique.
« Peux-tu me dire comment tu t'es fait ça ? » « J'suis tombé. » sifflais-je avec force et méfiance.
« Et c'est en tombant que tu t'es fait griffer jusqu'au sang ? » fit-il sceptique non sans froncer les sourcils.
« T'es pas du genre à marcher pied nu toi hein. Ton truc à toi, c'est les bureaux et le béton. Je suis pas comme toi. Je vis dangereusement. » Toute l'insolence moqueuse de l'enfant pseudo roi était en moi. Convaincu de ce que j'avançais, loup battu par sa mère dédaigneuse mais tendant régulièrement le bâton pour mieux enrayer sa culpabilité d'exister, garçon à la politesse limitée et aux bonnes moeurs inexistantes... J'étais un dur que rien ne pourrait craqueler. Du moins en donnais-je l'illusion. J'aimais ma vie et détestais déjà la sienne sans même la connaître. Diable que je n'aimerais pas être un toubib condamné à vivre entre ces murs poisseux suintant la vieillesse et les effluves médicamenteuses. Le médicomage arbora alors une moue sérieuse, et se pencha dans un froissement de tissu.
« Trop dangereusement, Loki... » Je déglutis malgré moi sur cette phrase qui me fit tressaillir, s'ancrant dans ma chair et s'imprimant dans mon esprit pour les années à venir. Il se redressa alors, toisant mon visage blême et mes yeux humides dans une dernière moue compatissante, avant de se tourner vers ma mère :
« Mme Greyback, les analyses sont formelles. Nous vous enlevons votre enfant pour maltraitance. Il sera placé dans des familles d'accueil sorcières jusqu'à sa majorité. » Et ni la mère, ni le fils, n'eurent un tressaillement chagriné. Un rictus railleur étira les lèvres gercées de la louve.
3. InsolenceNorwich, 11 Juillet 2008
A peine avais-je passé le seuil de la maison que je plissais le nez pour mieux humer l'air, tel un chiot aux abois. Mes traits lisses se durcirent sous le dégoût qui s'infiltra aussitôt en moi ; je reconnaissais les effluves de mon enfance, celles qui suintaient par tous les pores des murs où j'avais grandi, aigres et amères. L'odeur de l'alcool était tout autour de moi, comme toujours, et je ne savais plus si je regrettais d'avoir autant offusqué et choqué mes familles d'accueil au point que plus aucune ne souhaite m'ouvrir les bras, ou de revenir vers ma pauvre mère alcoolique avant même d'avoir vu son visage bouffi.
« May', c'est toi ? Sois un gentil garçon, apporte moi la bouteille de vin ! » Un sifflement mesquin s'échappa de mes lèvres tandis que je rentrais dans le salon sans même prêter attention à sa requête. Et sitôt mon regard d'ambre posé sur la silhouette de la femelle dominante affaissée dans son sofa pouilleux, j'étouffai un rire mauvais et amer.
« Elle est classe tiens, la cheftaine de la meute. » « C'est parce qu'elle a mis au monde un bâtard incompétent et sans pedigree. » Un soupir glacé et glaçant s'échappa de ma bouche sanguine comme j'avançais dans la pièce, trop habitué à son venin pour être touché dans mon égo. Jetant mon sac d'effets personnels à terre, je me tournai vers ma mère que je n'avais plus vu depuis un long mois. J'avais oublié que derrière la laideur de sa déchéance, se cachait une femme à la beauté éthérée et aux traits purs. Fenrir Greyback était tombé amoureux d'une jolie blonde au minois d'ange... S'il revenait de sa tombe aujourd'hui, il retrouverait une mégère aux traits lourds et à la peau poisseuse.
« Si tu me mordais, on réglerait le problème. » Un murmure suave égrainait ma voix sérieuse, tandis que j'épinglais ma mère de mon regard fauve. Plus le temps passait, plus j'aspirais à devenir chef de la meute. Mais la femelle dominante s'y opposait, refusant que je sois mué en lycanthrope.
« T'es borné comme ton père. Je te l'ai répété mille fois : jamais je ne te transformerai en loup-garou. Ni moi, ni personne. Jamais tu ne feras partie des nôtres... Tu as peut-être son regard, mais tu n'as pas son étoffe et tu ne l'auras jamais. » La femme aigrie renifla brièvement avant de me toiser de la tête aux pieds dans un grognement méprisant.
« Regarde-toi, propre comme un sou neuf. Ca vit dans les beaux quartiers, dans des maisons avec des petits jardins bien fermés... Et ça revient aseptisé et décapé à l’ammoniac. Tu pues l'hypocrisie des humains qui se croient civilisés. » Elle se renfrogna alors avant de glapir de satisfaction : ses mots venimeux étaient devenus sa nouvelle drogue, quand bien même ils ne m'atteignaient plus. Je nourrissais pour ma génitrice un dédain fissuré, dans lequel se glissaient quelques nuances de pitié et de tendresse drapée dans une arrogance sans faille. Levant mes yeux vers le plafond dans un ultime geste insolent, je m'imposais pourtant bien plus qu'elle ne le laissait croire : l'ombre maternelle voyait en son fils un mâle grandissant, à la silhouette moins squelettique que massive. Mes années passées dans ces familles d'accueil avaient nourri mon âme et mon corps, lesquels en étaient ressortis vivants, fougueux et plein d'énergie. Ce mépris pour tout et tout le monde, cette outrecuidance agaçante et ce port de tête princier ne m'avaient néanmoins jamais quitté, depuis mes neuf ans. Âge auquel on m'arracha des griffes d'une mère désabusée.
Ce fut sans un mot que je sortis alors du salon, refusant de répondre aux attaques bourrues de la jeune femme, ignorant ses vociférations nasillardes. Elle n'avait cependant pas tort sur un point : en tant qu'héritier de Fenrir appartenant à une meute sans véritablement m'y intégrer, je demeurais plus sauvage que civilisé, moins apprivoisé que animal... Et l'odeur de cette terre poudreuse collant à mes paumes et à mes joues, la sensation grisante de fréquenter les forêts et non les jardins clos à l'herbe bien coupée, m'avaient manqué plus que de raison. Aussi, dans un élan instinctif, je quittais cette maison que je venais de retrouver afin de renouer avec la nature et mes instincts primaires.
« Ca ne m'étonne pas que même ces... soi-disantes familles d'accueil n'aient pas voulu de toi ! Heureusement que ton père n'est plus là pour voir ça ! Bon à rien. Traîne savates. Conna... » La porte claqua sous mon rire désabusé.
« Hey Loki, ça fait du bien de te revoir ! » Sitôt le pied dehors, je fus accueilli par d'autres jeunes gens de mon âge au sourire sincère et au regard pétillant de joie. D'autres enfants de la meute ayant passablement grandi avec moi, et qui voyaient en ma personne le digne fils de Fenrir, lycanthrope ou non. Un regain nouveau gagna mes poumons lorsque je rejoignis ma bande d'amis, lesquels avaient de ces dégaines qui font grincer des dents les grands bourgeois et les font frémir.
« Il est temps de faire une grande fête pour mon retour. » murmurais-je de ma voix suave et grave, dans un rictus charmeur et assuré.
« Chez moi. » ajoutais-je sous le regard surpris de mes camarades.
« Oui mais ta mère... » « Contacte Sainte-Mangouste afin qu'ils l'embarquent pour sa cure de désintox. Ca pue l'ivrogne aigri là-dedans. Dégueulasse. » La demoiselle à qui je m'étais adressé acquiesça d'un bref signe de tête hésitant. J'allais éloigner ma mère sous prétexte d'une maison vide pour mieux fêter mon retour... et tenter une mainmise sur la meute de mon macchabée de père.
4. RebellionNew Costessey (environs de Norwich), 21 Octobre 2003
« Hey Maytook ! » Un ricanement heurta mes tympans, quand figé par la honte et la colère, je relevais mes yeux bruns vers le grand gaillard de dix ans qui me toisait de haut en bas. Le petit sorcier n'avait de cesse de jouer les provocateurs dès lors qu'il avait appris pour mon surnom, fardeau qui m'était difficile à porter et dont le stupide garçon ignorait la signification. Aussi bien littéral, que symbolique. Serrant mes poings avec ferveur, je dardais mon rival comme j'épinglais le monde : avec mépris, avec haine, avec rancoeur.
« L'écoute pas Loki. Viens, on va être en retard. » Un de mes plus proches amis posa sa main déjà puissante pour un jeune enfant, sur mon épaule de frêle carrure. Sentant les pulsions violentes qui m'animaient, faisant frémir ma peau et léchant mon échine, il me hâta à reprendre notre chemin. Le provocateur eut un rire gras lorsqu'il nous vit avancer de nouveau, taciturnes : voyant dans notre indifférence une volonté de fuir, il se rapprocha d'une démarche rapide vers nous, son ventre bedonnant rythmant le moindre de ses pas. Incapable d'ignorer d'avantage l'assaillant stupide, je me figeais sur place, dardant de mes yeux de jeune premier ce visage rond, ces lèvres grasses et ces joues rougies par l'effort.
« En fait t'as pas juste un surnom stupide. T'as aussi l'air stupide ! » L'arrogance de mon rival se heurta à ma colère farouche, quand d'un geste agressif je poussais alors l'idiot avec force et brutalité pour ses paroles et son orgueil qui attisèrent alors ma rage. Un geste qu'il me rendit alors, emportant les offuscations des curieux qui se regardèrent pantois ; dans une ville aussi tranquille que Norwich, il n'était guère habituel d'en venir aux poings, l'acidité de nos mots suffisait habituellement amplement.
Tout alla trop vite ; dans nos emportements haineux, je l'empoignais par le col, avisant avec fureur son sourire à la fois arrogant et angoissé. Le garçonnet affolé ne put faire grand chose lorsque je le jetais à terre, pas plus d'ailleurs que mon ami restant interdit devant tant d'agressivité brutale. Un coup de poing partit, sous un gémissement de douleur étouffé par des sanglots éteints par ses lèvres charnues et ensanglantées. Malheureusement pour lui je n'abandonnais pas ma lutte ici ; il avait touché un point faible, éveillant ma bestialité endormie. Plaquant alors l'ingénu au sol, j'agrippais sa tignasse blonde, cognant sa tête contre le bitume, encore et encore, jusqu'à ne plus en pouvoir, sous les plaintes horrifiées, sous les cris, les pleurs, puis les supplications de ma victime, quand la rage au ventre et les larmes de colère aux yeux, ma violence s'amplifiait jusqu'à ce qu'une main douce mais ferme vint agripper mon bras.
« Répète connard, répète ! » « Loki tu vas le tuer ! » Mais mon ami n'eut pas le temps de m'agripper pour nous séparer dans un élan héroïque, troublé par la déferlante de violence émanant de mon corps frêle. Ce fut sous son regard éberlué que nous continuâmes la lutte, respirant poussière et sang. Nous nous battions lamentablement mais d'une rage impromptue pour des jeunes garçons de notre âge ; bientôt par ailleurs, mon bras se tendit pour venir agripper une pierre lourde et menaçante... Geste désespéré, folie stupide, haine déloyale ; la sauvagerie m'aveuglait et entachait mes réactions de cette brutalité sanglante et grave. Mes doigts blancs se crispèrent sur la pierre en un souffle court, comme le jeune garçon se débattait tel un loup en cage. Soudain, je me sentis partir en arrière, propulsé avec force et atterrissant durement contre le bitume. Ma victime anciennement bourreau venait de manifester ses pouvoirs en guise d'instinct de défense, sous le regard outré de quelques moldus traînant dans les ruelles désertes et pluvieuses d'un Norwich endimanché. Les Oubliators ne tardèrent guère à venir nettoyer les lieux, tout comme les médicomages envoyés sur place. On m'assura que mon bras s'était cassé sous le choc. Ma victime quant à elle, gémissait ensanglantée sur le bitume humide.
5. DéchéanceBristol, 10 Juillet 2008
« C'est inadmissible ! Dehors ! » L'esprit cruel et le rire impur, je me tournai vers le sorcier qui m'avait abrité durant de longs mois. L'un de ces adeptes acceptant de donner sa maison en pâture à des jeunes en difficulté, sous couvert de se faire appeler « famille d'accueil ». Je n'avais par ailleurs, jamais eu de problèmes avec les personnes me tendant la main, si ce n'était mon instinct sauvage et mon manque de tact qui faisaient de moi un adolescent exécrable et difficilement contrôlable. Passant de familles en familles, aucune n'avait eu la patience de m'accueillir bien longtemps, pas même cette dernière dont le patriarche demeurait pourtant une figure sainte de patience et de gentillesse. Mon antithèse la plus totale, en somme. Et si nous n'avions jamais eu de conflits véritables, ma dernière action blasphématrice fut celle de trop.
« Ma fille... Comme une... Comme une... » « Chienne. » « DANS MA CUISINE ? APRES TOUT CE QUE NOUS AVONS FAIT POUR TOI ? » « Pour ma défense, vous n'étiez pas censés rentrer ce week-end... » Un rictus goguenard étira mes lèvres arrogantes, bien vite effacé cependant lorsque le sorcier m'empoigna le col et me jeta sur le seuil de la porte :
« DEHORS ! » Un tressaillement rageur vint battre mon palpitant sous le joug de la colère, quand mes yeux radoucis se levèrent vers la chambre de la demoiselle avec qui j'avais passé ces quelques mois. Son visage angélique et souriant passa la fenêtre pour un dernier au revoir, et je pus lire sur ses lèvres délicieuses un bref
« On se revoit bientôt. » qui accentua mon frisson transi. D'un geste de la main, je lui envoyai furtivement un baiser qui de mes lèvres jusqu'aux siennes, parcourait ce vide entre nous. La porte s'ouvrit soudain de nouveau pour vomir mon sac d'effets personnels atterrissant à mes pieds, et la voix de mon hôte résonna derrière un claquement sourd :
« Petit con ! » Un rire railleur passa la barrière de mes lèvres arrogantes comme j'empoignai mon sac. Je compris aussitôt que ma dernière chance s'était envolée, qu'on ne me placerait plus dans aucune famille d'accueil et qu'il me faudrait rejoindre ma chère et tendre mère... Je ne m'étais pas trompé, car le lendemain seulement je regagnai Norwich pour une simple histoire d'idylle avortée.
6. Maytook28 Juin 1993
Tendre et décevante Alashka,
Voilà de bien amères nouvelles... Un fils plein de vie est-il aussi satisfaisant qu'un fils semi-mort mais né avec la grandeur lycanthrope dans les veines ? Je ne le crois pas. Je ne le conçois pas. J'avais espéré Loki fort comme son père, dur comme le roc, sauvage comme ses ancêtres. Et qu'ai-je donc ; un tas de chair qui attend de se faire mordre pour rejoindre sa meute ? Blasphème ! Je suis mort de honte et de colère. L'enfant a bien de la chance cependant, car si je n'étais pas rendu déjà si loin au Nord, j'aurais broyé sa carcasse sous les troncs morts de notre si beau territoire...
Loki. Moi qui voyais en lui la grandeur de nos ancêtres. J'aurais aimé le faire prince, et voilà qu'il se décide à naître pouilleux. Mais soit, puisque la « Sage » tient à respecter le code des loup-garous et que nous ne puissions tuer l'enfant, transforme-le. Mais sache qu'il demeurera toujours un moins que rien à mes yeux. Tu m'as aussi déçu, Alashka. Je te souhaite de pourrir dans la faiblesse avec ton enfant... Mais soit, il restera mon héritier puisque la loi du sang prédomine. Puisse-t-il avoir fait ses preuves lorsque je reviendrai de mon périple, car je ne montrerai aucune pitié.
Désormais, Loki le noble, le fort, le grand, est mort. A mes yeux ce fils s'appellera dores et déjà « Maytook ». Ce mot absurde dont la signification en inuit n'est autre que 'croc-blanc' a tant nourri l'imaginaire des moldus que je ne vois en ce surnom railleur que faiblesse et honte. Il est et sera ma honte. Il sera mon Maytook. Loki est mort dès le jour de sa naissance. Si ce n'est pas malheureux.
Sache que je ne renie pas mon fils. Je me plais cependant à le mépriser et l'imaginer. Est-il faiblard et menu ? Je n'en doute pas... J'en mets ma langue à couper que ce chiard a gueulé sitôt la tête sortie de tes jambes.
Garde Maytook en vie pour mon grand retour. Je lui apprendrai à être loup, quitte à lui faire bouffer les tripes de la Sage. En attendant, je rallierai encore de force d'autres garous à notre meute. Les jeunes enfants demeurent mon premier choix.
Fenrir.
7. VéritéNorwich, 31 Août 2013
Mes yeux fauves accrochèrent la silhouette familière qui passa l'antre de notre maison, plissant le nez de méfiance, j'avisais cette femme vêtue avec mauvais goût et qui portait sur elle l'aura poisseuse de la vulgarité. Debout dans le couloir, je toisais de mes yeux de loup cette femme d'une quarantaine d'années qui avançait d'un pas leste tout en veillant à balancer ses hanches dans une sensualité inexistante. Elle s'arrêta à mes côtés, empesta mon air de son parfum sirupeux et écoeurant, et m'offrit un sourire vil.
« Mais c'est que le vilain petit canard devient foutrement baisable. » Un rire gras secoua son buste alors qu'elle reprit son chemin vers la cuisine, là où l'attendait ma mère. Depuis sa cure de désintoxication, elle était revenue changée : plus fatiguée sans nul doute, mais tellement plus combative, tellement plus lumineuse, tellement moins... loque. Nous avions même pris le temps de renouer : si nous n'avions pas atteint les summums de la complicité, je pouvais percevoir avec fierté cette lueur de respect brillant dans l'alcôve de ses yeux bruns. Plus encore, elle ne m'appelait plus 'Maytook'... Loki à ses yeux, avait su renaître de ses cendres. Je mettais ce revirement sur le dos de ma poigne de fer lorsque je dus gérer la meute après son départ. Certes, je ne pouvais me considérer comme chef et moins encore comme mâle dominant, puisque avant tout sorcier je n'avais toujours pas le don de la lycanthropie dans les veines et passais la plus grande partie de mon temps à Poudlard. Néanmoins j'avais su m'imposer dans les décisions, mon aura de meneur et mon pedigree certain aveuglant les foules qui acquiesçaient avec respect. Non convié cependant au tête-à-tête des deux femmes, je feintai m'éloigner de la cuisine mais demeurai aux aguets. L'oreille discourtoise épiant leur discussion, quand assis dans le petit salon j'écoutais leurs dires avec attention.
« On n'y va pas par quatre chemin. Sa transformation est pour quand ? Loki a fait ses preuves et Fenrir pourrit sous terre à cause de Potter. Nous avons besoin d'un chef, pas d'un substitut... » « Je ne sais pas. » Je me raidis un instant, le souffle court et la nuque douloureuse, lorsque nerveusement j'attendais la suite de cette conversation impromptue.
« On avait convenu que ta décision devait être prise aujou... » « Je suis au courant, ne me prends pas pour une idiote... Mais... Si je n'ai pas mordu Loki jusqu'ici, il y a une raison. .. Je veux qu'il ait une vie normale, il... » « Joue pas les hypocrites, Alashka. On sait tous que ton fils te servait de cendrier avant même qu'il n'ait cinq ans. T'as jamais pu le pifrer, ton Maytook, parce qu'il te rappelait sans cesse ton échec. Alors commence pas maintenant avec tes discours de grande dame. Tu te souviens du jour où tu l'as envoyé à Sainte-Mangouste à force de lui matraquer le dos à coups de... » Un grognement sourd s'échappa des mes lèvres comme je joignis mes mains sur mes genoux. Nerveux et rageur, je sentais mon front s'alourdir d'une barre de colère tandis que je crispais la mâchoire de frustration.
« JE SAIS ! » l'entendis-je crier sous quelques sanglots étouffés.
« Mais c'est mon fils.... Je n'ai jamais cessé de l'aimer. Fenrir serait tellement fier de lui. » « Il l'aurait été encore plus s'il devenait un garou. Ton gamin veut devenir chef de meute, il l'a dit lui-même. Et à l'exception de cinq ou six récalcitrants, la meute ne serait pas contre. » Un silence oppressant plana dans la maison durant de longues minutes interminables, quand enfin la voix résignée de ma mère s'éleva de nouveau.
« Et lorsqu'un autre vieux loup récalcitrant l'apprendra, ils se battront à mort pour la place de mâle alpha. Je refuse de le perdre. Je ne transformerai pas Loki, et j'ordonne à la meute de ne pas y toucher. » Un dernier cri résigné, tel un jappement, et ma mère frappa la table de son poing intransigeant. Ce fut un goût amer en bouche que je me levai, titubant un instant sous cet amas de vérités qui déferlaient sur moi. Ma mère m'avait aimé, ma mère m'avait protégé à sa manière... Mais ma mère ignorait que plus encore que de respecter l'ombre paternelle, je ne souhaitais plus que le détrôner. Etrange paradoxe malsain... Quittant les lieux d'un pas déterminé, je sortais grandi et endurci des aléas sinueux de ma vie. Résolu à écarter le moindre obstacle de mon chemin, de façon morale ou non afin de parvenir à mes fins.
8. Barbaque/!\ Le passage suivant est susceptible de choquer. Le récit est écrit à la 3ème personne afin de mettre en exergue la bête quasi incontrôlable sommeillant en Loki.Forêt de Norwich, 2 Mars 2014
La bête étouffe des grognements sourds et exhale son râle buttant contre les babines retroussées. Elle s'élance vive et menaçante à travers la forêt, ses pupilles tannées à l'or chaud se braquent sur les deux silhouettes qui se démènent et se fondent entre deux arbres. La femme a comme un éclat pantelant dans le regard quand l'angoisse jugule sa gorge et resserre son étau mortifère, elle se retourne vers la créature affamée quoique n'en aperçoit pas son pelage. Cette absence la secoue et la perturbe, elle sent l'ivresse de la mort imprégner tout son être, empoigner son cœur déjà sclérosé par la peur, pénétrer de force dans le creux de son nez. Effluves rances et ferreuses. Un hoquet d'espoir la gagne mais bloque un peu plus ses poumons contrits ; alarmé, son compagnon resserre sa poigne autour de ses doigts et tire plus encore ce poids presque mort. Il peut sentir la fatigue et l'abattement qui l'embrase, prétend ne pas être contaminé. Ils s'en sortiront. Comme en ce mois de mars où la maison prit feu, rameutant dans ses flammes la sournoise Faucheuse qui n'emporta pas Mitsy. Les secours arrivés in extremis leur avait prédit une belle étoile. L'idéaliste de mari y croit encore, probablement un peu trop piqué aux grandes histoires shakespeariennes, il a cette espérance inébranlable tout contre le cœur.
BAM BAM BAM. Pourtant le myocarde exulte, la course rogne son énergie. Et ses yeux ont beau tenter de percer la nuit noire, il ne peut compter que sur des armes blanches pour en trouer le ventre.
BAM BAM BAM. L'aorte pompe ce flux sanguin, accélère la rivière de sang jusqu'aux poumons perclus.
BAM BAM BAM. Ils s'en sortiront.
Soudain le loup émerge à nouveau dans son champ de vision, et la femme de pousser un cri affolant la bête autant que son mari.
« COURS MITSY ! » Ses longs cheveux roux parsèment la nuit de filaments rubigineux. Cette couleur rouille appelle au sang suranné. La bête rugit et s'élance de plus belle.
« AAAAAH ! »***
La bête s'est repue. Cette langue pourléchant ses babines ensanglantées en témoigne. Sereine et reposée, elle tourne une dernière fois autour des cadavres ; l'un est moins propre et lisse que l'autre. Opiniâtre euphémisme lorsque l'on avise la scène bouchère. L'homme n'est plus qu'une masse informe, la tête ne tient qu'à un ligament que le loup n'a pas croqué. Trop tenace. Cela ne lui seyait pas sous la dent. La panse éventrée dégueule ses entrailles, là encore la bête a trié les morceaux de choix. Elle darde à peine cette vomissure vermeil avant de toiser le macchabée féminin avec indifférence. Le ventre lourd de barbaque fraîche, la vision d'un second repas n'attise pas la convoitise du loup bien au contraire. Elle, est encore intacte. Enfin presque. Seul son beau visage mutilé par les crocs voraces dégobille de laideur. La beauté même, épluchée au couteau.
Lorsque le monstre s'éloigne enfin, il titube sur sa route et secoue sa gueule comme pour mieux y voir. Sa vision est trouble – quoique cela ne l'empêcha guère de chasser ses proies – et agite à ses yeux comme des voiles de fumée. Un hoquet soudain le prend au corps ; la bête tressaille et se met à courir. C'est le soubresaut de conscience qui s'éveille mais ne fend pas encore son délire sanguinaire. Tout cela n'est qu'un rêve quoique tout paraît réel : des effluves ferreuses à cette sensation de terre humide contre les pattes. Les cris, la sueur, le battement sourd des organes. Ce goût rouillé contre son palais. Il veut croire que tout est fantasmé et cette pointe d'espérance naïve le secoue une fois encore.
***
«Te voilà. » souffle le jeune homme comme il ramasse sa veste de cuir, la passant par-dessus une chemise maculée de terre jetée sur ses épaules. Ses pupilles dilatées témoignent d'une allégresse macabre injectée en plein dans ses veines bleues : ce délire lui a pris comme ça, lui tenaillant le corps tout entier, sans qu'il ne comprenne pourquoi ni comment. Loki sait seulement qu'il est encore sous la drogue de son délire sanguin ; ça lui a asséché le gosier, emballé le cœur, fait voir de ces trucs inimaginables. Il est même encore euphorique car ce rictus apaisé sur ses lèvres goguenardes ne semble pas vouloir le quitter. Selon le langage courant des toxicomanes, il vient de pratiquer le 'high contact'. Sensation fantasmagorique consistant à rencontrer une tierce personne sobre lorsque son propre corps est encore sous le joug des hallucinogènes. Le jeune homme n'est d'ailleurs pas encore redescendu, il peine à y voir clair. Aussi lorsque se fait entendre au loin ce cri perdu dans la forêt, Loki secoue la tête comme pour en faire sortir les échos. Il n'y a rien là-bas. Il n'y a jamais rien eu. Ce sang séché qui lui colle à la peau, c'est de l'esbroufe. Sans doute s'est-il coupé. Ce qui serait con. Greyback est peut-être gauche lorsqu'il s'agit de relations humaines mais pour le reste il n'est pas maladroit.
« Au...sec... » « Raaah. » Le brun ténébreux plaque ses mains sur ses tempes puisque ne veut rien entendre. Cet appel au secours est trop concret, trop vif, il tranche son cerveau à coups de lucidité qui lutte contre son délirium funèbre. Finalement et dans un autre râle vagabond, abandonne sa lâcheté et retourne sur ses pas. Là où la bête laissa les cadavres inertes.
La femme est encore vivante, elle porte à ses lèvres un gémissement terrifiant et babille sa souffrance. L'on dirait un miaulement de chatte malade, c'est pathétique. Loki reste debout à la toiser mais son regard ne se teinte ni de remord ni même d'horreur : il n'a conscience de rien. Sa dépersonnalisation est si profonde qu'elle a été menée bien loin, sa capacité à ressentir de l'empathie a été annihilée d'une traite. Il n'est plus que la grossière contrefaçon d'un être humain. L'allégresse macabre qu'il ressent encore en l'instant le relie à la folie latente, au vice, à l'incontrôlable, à la bête.
« T'es encore en vie toi ? » Voix suave qui parvient de loin et cogne contre la paroi de son crâne à lui en donner la migraine. Loki dégaine un coup de pied contre le ventre de la jeune femme enlaidie, comme pour s'assurer qu'elle souffre. La douleur rend bien vivant.
Elle piaille encore, ça l'exaspère. Soudain une idée illumine son cerveau brumeux et esquisse à ses lèvres un sourire facétieux. Les traits du jeune homme se parent d'une lueur effrayante, lui qui pourtant fut toujours des plus charismatiques. A bien y réfléchir il a toujours suinté le charme animal, et c'est sans doute ce qui put plaire à la gente féminine la plus masochiste.
Enjambant le corps endolori, Loki s'accroupit et la chevauche tandis que de ses mains déterminées fait sauter les boutons de la chemise féminine. La rouquine tressaille ; quelque part dans son crâne défoncé à l'adrénaline, elle se dit que ce type n'est vraiment pas bien. Baiser une presque morte au visage tuméfié, quelle idée. Alors elle geint de nouveau et trace sur ses lippes quelques mots douloureux.
« Pitié... » Loki soupire alors d'exaspération avant de rouler ses yeux noisettes vers le ciel. Quelle conne.
« J'suis complètement high. » dit-il non sans laisser s'échapper un rire malencontreux, témoin de son délire sanguin. Il aimerait lui dire qu'il ne sait pas même ce qu'il fait, que ses gestes lui paraissent flous et que les mots qu'elle dégoise lui parviennent en de lointains échos. Mais son cerveau n'a pas le monopole de ses actes, ses cordes vocales s'activent d'elles-même :
« Faudrait déjà que je bande en te voyant. Mais genre, que je bande fort tu vois. Et t'inquiète, vu ta gueule ça risque pas... » Puis il la retourne d'un coup sec, fait fi de ses plaintes douloureuses et de ce bruit infâme d'une chair purulente s'écrasant contre la terre, et lui enlève sa chemise. Ses gestes sont déterminés mais tremblent sous les effets du délire macabre ; il noue le tissu autour des poignets de la jeune femme, s'assurant qu'elle ne bougera plus, puis lorsque l'oeuvre est achevée s'empare de la tignasse rousse et la force à relever la tête. Se penche à son oreille. Murmure des mots dégueulasses.
« ...Parce que j'm'en fous de défoncer ta petite chatte. On va jouer à autre chose. » Il n'est plus lui-même, tout est erroné. De son rire léger à ses paroles dégoulinant de stupre vulgaire. Son humanité est une ébauche informe, la bestialité a pris le pas. Elle rugit et cogne contre les parois de son crâne des miasmes de dépravation.
Son regard se pose alors sur une corde vétuste qui jonche les souches d'arbre. Ruines d'une vieille cabane érigée par les gamins du coin. Un sourire lisse sa lippe, mauvais et carnassier. La victime a compris. Elle gueule son impuissance, sa peur et sa douleur. Sa gorge ronde dévore l'agonie. Et lui ça l'exaspère. Alors pour la faire taire, lui engouffre des mouchoirs dans le gosier.
***
Combien de temps est-il resté assis contre cet arbre, jambes ramenées contre son buste et bras qui en forment l'étau. Une heure, peut-être deux. Une heure qu'il a fourré sa tête dans ses mains ensanglantées, se fourrageant les cheveux, front blanc tourné vers le sol. Recroquevillé sur lui même, Loki a la conscience qui s'éveille : l'allégresse macabre a fait place à l'amertume. Il comprend que rien n'était un rêve et que tout fut joué, que ses mains rougies qui se plantent dans son crâne parsèment ses mèches brunes de sang coagulé. Et il ne veut pas relever la tête, ne veut pas darder les cadavres. Il ne se souvient que de quelques bribes, comme des flash successifs lui frappant la mémoire. Pour le reste, c'est le trou noir.
« Fuck ! » Le jeune homme gueule sa peur et sa perdition, la crainte de sombrer dans la folie. Et lorsqu'il relève enfin la tête ce n'est que pour cogner l'arrière du crâne contre le tronc d'arbre à de multiples reprises. Chaque collision se heurte à ses mots.
« FUCK ! FUCK ! FUCK ! » Loki déglutit d'une salive pâteuse et rare avant de sentir son cœur s'emballer. La crainte lui saute à la gorge et la jugule, lui prive de son air sacré. Enfin, il ouvre les yeux. Et ce qu'il voit dépasse tous ses cauchemars.
Une femme rousse pend par les pieds, elle a la rigidité cadavérique qui la plombe. Méconnaissable, le visage mutilé par ce qui semble être des crocs voraces, l'on ne reconnaît que cette bouche tordue par la douleur. Son ventre nu dévoile des plaies béantes et savamment découpées ; l'on a ouvert la barbaque pour la saigner lentement. Sur cette vision d'horreur, un flash revient cogner tout contre la conscience de Loki alors qu'il s'entend rire bêtement :
«Viande halal. ».
« Raaah ! » De nouveau le jeune homme fourre sa tête contre ses mains quoique cette scène bouchère lui paraît trop fascinante. Sa pupille alanguie retourne sur les cadavres : il y a comme un truc informe à terre. Amas de chair qui ressemble à un homme.
Loki suffoque, une crise d'angoisse assaille son être tout entier. Il peine à respirer et pour mieux libérer ses poumons contrits tourne la tête vers le ciel, bouche avide de recueillir de l'oxygène. Puis de nouveau un cri de rage, lorsque enfonçant ses ongles terreux dans le sol décèle des bruits de pas. Oona, fille de la meute, est à ses côtés, et il lui suffit de glisser sur elle son regard perdu pour qu'elle s'avance enfin. Ce qu'il doit être pathétique, le visage crasseux, couvert de terre et d'hémoglobine. Des larmes qui pointent à ses yeux sombres, crise de nerf oblige. Parce qu'il est engoncé dans sa peur, aussi. Celle de devenir fou.
« Regarde pas... » souffle-t-il affolé alors qu'il pose ses deux mains sur les joues fraîches de son amie. Implorant de nouveau.
« Regarde pas. C'est pas moi. J'ai pas voulu... » Il déglutit difficilement.
« J'ai pas voulu faire ça. J'sais pas comment... Oona ? » Il la questionne naïvement, son regard trouble posé sur elle.
« Shhht. Je sais Loki. » Elle le toise de ses grands yeux inquiets, glisse sur ses joues la douceur d'une main attendrie. Et dans un souffle reprend avec angoisse :
« La bête a pris le pas sur ton humanité. Pourtant tu es animagus loup depuis près d'un an déjà. Par ta seule volonté et ton travail, car l'envie de faire partie des Greyback te broyait le coeur. Tu as alors la volonté de mater ton animalité.... » « Plus jamais. Merde. » L'intéressé se redresse, jambes tremblantes. Ses poumons contrits accusent le coup et saccadent un rythme anormal, lequel accompagne la pulse d'un palpitant malade. Il va rendre ses victuailles, chaires mortes arrachées aux carcasses encore chaudes... D'ailleurs il se souvient des spasmes de ce mec dégingandé, sa gorge ronde dévorant l'agonie. Il l'a bouffé alors que sa proie était encore en vie. A rongé ses os, croqué ses ligaments.
Trop tard. Loki régurgite son dîner improvisé et crache sa bile derrière un arbre, main en appui contre le tronc. Il a vomi son dégoût, ses peurs, ses appréhensions, des morceaux de barbaque également... Restes humains qui assènent à nouveau son corps de mille frissons écoeurés et gagnent son front blanc par la moiteur.
« Tu dois contrôler cette bête en toi... » « Et j'fais comment ? » Le jeune homme essuie sa bouche d'un revers de main. Estomac encore plombé, nausée au coin des lèvres.
« Je suis sorti du Hàrstad*, j'en ressentais le besoin. » Sa voix est suave et grave mais son regard lui, reste léger et absent.
« Et j'ai senti cette présence... Je suis allé voir. J'aime pas les intrus qui tournent autour de nous. Et puis je l'ai vue. » Froncement de sourcils, la mine de Loki écrit des traits dégoûtés.
« Elle avait les mêmes yeux fous que ma mère, quand elle me jetait dans les escaliers. » Un rire grinçant roule jusqu'à sa lippe. Un grognement sourd s'érige en son timbre, éclats noirs de haine et de courroux.
« Sale bitch. »L'engrenage lui saute alors aux yeux, et il comprend pourquoi sa bestialité n'a éclaté que maintenant. Il manquait à son puzzle les dernières pièces de son inimitié farouche, muée à présent en une nemesis meurtrière. L'humain n'a pas survécu à la bête, n'a même jamais été sauf. La créature a attendu sagement son heure, dormant contre les flancs de sa colère perpétuelle. Et la meute l'a nourrie toutes ces années, avec ses principes un peu bâtards. Mi homme-mi loup.
« Fallait que je me la fasse. » qu'il dégoise alors dans un haussement d'épaules, d'une voix soudain plus légère. Comme si tuer la mère épongeait sa culpabilité. En posant le doigt sur le problème il prend conscience de sa faiblesse : ce fut la haine qui l'emporta dans les affres de sa bestialité.
Et la bombe implosa en son sein, faisant voler en éclats d'obus les pauvres restes de son humanité. En espérant que la faille ne se reproduira plus. Injonctions létales d'animalité.
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* Hàrstad : mot issu du dialecte des Greyback, signifiant le "Haut-lieu" (village à haute concentration de garous)