Callum refusait de penser à la dernière soirée qu'il avait passé avec Oscar. Il s'y refusait catégoriquement, et pourtant il était incapable de songer à quoi que ce soit d'autre. C'était une catastrophe. Certes, le guitariste n'avait pas toujours les yeux en face des trous et ne se rendait pas toujours compte des choses mais ... Là, c'était évident. Des dizaines et des dizaines de scénarios se dessinaient dans son esprit ... Le blond le détestait, le méprisait ou l'abandonnait, riait de lui ... Heureusement, ils devaient se voir bientôt. Jamais de sa vie le professeur n'avait été aussi anxieux. Il mourrait d'impatience de le voir pour être fixé, et d'un sens, en avait si peur qu'il se tâtait à sortir par derrière et le fuir jusqu'à la fin de sa vie pour conserver l'espoir qu'il ne lui en voulait pas de trop. Lui en vouloir de quoi, en revanche ...

Malgré la nuit et les jours suivants passés à réfléchir, le brun ne savait absolument pas où il en était. Il avait tenté d'écrire les événements, sans ressenti, pour prendre du recul ou de le dire à voix haute, seul, comme pour se convaincre lui-même. D'ailleurs, il avait essayé de se convaincre d'un bon nombre de choses, se les répétant à l'infini, les écrivant, les scandant ... Il avait tenté d'en parler à Suk Hee, vaguement, mais il n'était plus très sûr de vouloir son avis ... Ni aucun autre avis en réalité. Il aurait juste voulu effacer cette soirée de sa vie. Il avait même songé à utiliser un sortilège pour ça, avant de prendre conscience combien la situation le rendait dingue et différent. Il aurait pu trahir toutes ses convictions pour revenir en arrière. Et même s'il le pouvait, il n'aurait pas su à quand remonter. A cette soirée ? A celles d'avant ? Quand il avait commencé à agir et à penser différemment ? Ou à leurs onze ans, pour être sûr que rien de tout ça n'arriverait ? Il ne put s'empêcher de penser à tous les bons moments qu'ils avaient passés depuis tout ce temps, et de se demander ce qu'il serait advenu de lui s'ils ne s'étaient pas rencontrés à ce moment-là. Est-ce qu'il sacrifierait tout ce qui était arrivé juste pour ne plus souffrir aujourd'hui ? Et de quoi est-ce qu'il soufrait, vraiment ? Voilà pourquoi il ne voulait pas y penser. Parce qu'il ne savait plus rien de rien.

La journée précédant son rendez-vous avec le blond fût longue et désespérante. Callum était à fleur de peau, soit prêt à hurler sur le premier venu, soit prêt à fondre en larmes à cause de la moindre remarque. C'est donc le coeur serré et l'estomac retourné qu'il s'obligea à lui faire face à la fin de ses cours. Après plusieurs longues respirations, il arriva à son niveau. Ses oreilles sifflaient et ses poumons variaient entre hyperventilation et souffle coupé. Il fût incapable de former le moindre mot jusqu'à ce que son ami ne brise le silence. Sa blague fit cesser son coeur de battre. Il était à un fil de le serrer contre lui pour sangloter contre son épaule tant il était soulagé. Tenant tout de même à tenir le secret (et sa fierté) intact, il n'en fit rien et se limita à un sourire. Il fallait qu'il change d'idées rapidement avant d'y céder. Remarquant la boîte de chocolat ouverte, il sauta sur l'occasion. L'air taquin, il fit un bon vers lui et attrapa l'une des confiseries entre ses doigts.

« Je vois que t'as pensé à moi ... » Vigoureusement, il croqua dedans. Avant de la recracher, écœuré par le goût de fruit qui venait gâcher celui du chocolat blanc qui l'entourait. « Tu devrais savoir que je déteste les fruits dans les sucreries ! » Sa voix tremblait et était étonnement rauque, mais il enchaîna rapidement sur un air amusé pour lui faire comprendre que c'était une blague. « Alors, quelle fabuleuse jeune femme t'as offert ça ? »

Callum était au bord de l’euphorie tant il était soulagé et heureux de voir qu’une fois de plus, Oscar était aveugle. Certes, en temps normal, ce défaut l’agaçait chez son ami, mais en ces temps troublés, il en était presque à remercier le ciel pour ça. La remarque du blond le fit rire à un point inimaginable. En tant normal déjà, il aurait ri doucement, mais là ce fût à la limite de l’hilarité, un rire franc et clair. Tout le stress, l’anxiété et l’appréhension de ces derniers jours s’envolaient comme s’ils n’avaient jamais existés, et ses nerfs profitaient de l’occasion pour se relâcher, ainsi que pour libérer quelques larmes de soulagement qui passèrent inaperçues grâce à cet éclat.

Cependant, son soulagement fût vite éclipsé par un sentiment étrange, celui que tout n'était pas réellement rentré dans l'ordre, que quelque chose clochait. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Peut-être était-ce sa façon de bouger, un peu différente de d'habitude, ou son regard ... Le professeur chassa ces idées en concluant rapidement qu'il était simplement un peu paranoïaque suite aux événements et qu'il n'avait qu'à les faire taire pour passer une bonne soirée avec son ami. Meilleure que la dernière tout du moins. Il l'écouta patiemment lui expliquer la provenance de cette boîte de chocolat, sans que rien ne l'interpelle plus que ça. Ce n'était pas la première fois, ce ne serait pas la dernière non plus ... Puis tant que c'était des femmes, il n'en avait pas grand-chose à faire. Il esquissa en revanche un sourire attendri face à l'affection que lui démontrait le musicien. Il avait toujours été un peu expansif, mais là, c'était adorable. Peut-être que ses longs jours sans la moindre nouvelle lui avaient paru interminables aussi ? L'idée que son ressenti fût à peu près partagé lui fit monter le rose aux joues. Puis il prit un air interrogateur face à celui d'Oscar, devenu étonnement sérieux. L'air toujours aussi surpris, il répondit à sa première question.

« Non, je suis comme d'habitude ... »

Sa remarque sur ses yeux lui aurait fait plaisir en temps normal. Mais là, quelque chose était définitivement étrange. Il ne savait pas quoi, mais plus le libraire lui parlait et plus il en était convaincu. Son ton mielleux, son sourire charmeur ... Il ne l'avait jamais vu comme ça. Enfin si, mais jamais avec lui tout du moins, ce genre de traitement étant généralement réservé aux types qui lui plaisaient. Instinctivement, le brun fit un pas en arrière lorsqu'il lui prit les mains, et encore un autre lorsqu'il approcha son visage dangereusement prêt du sien. La situation tournait mal. Beaucoup trop mal, et il était bien décidé à ne pas laisser le calvaire de l'autre soirée se répéter. Mais le discours de plus en plus barré du guitariste ne l'aidait pas à garder son calme. Malgré qu'il eût conscience que quelque chose n'allait pas, il était incapable de contrôler son cœur qui s'emballait furieusement dans sa poitrine. Il sentait son sang battre dans ses veines et c'était une très, très mauvaise chose. Et plus il avançait dans son discours, pire c'était. Sa proposition d'aller s'isoler quelque part fût la meilleure idée du siècle à son goût, il pourrait avoir la situation sous contrôle et tenter de savoir ce qui clochait chez son ami. D'un geste de tête, il acquiesça.

« Oui, je crois que bouger serait une bonne chose, t'as l'air d'être ... Fatigué. Vaudrait mieux qu'on soit que tous les deux. » Il lui adressa un léger sourire, tentant tant bien que mal de cacher son inquiétude et sa surprise. « Tu veux aller quelque part en particulier ? » Il marqua un petit temps de pause avant de le questionner un peu sur le pourquoi du comment, d'une voix douce, comme pour le convaincre que peu importe ses réponses, il ne s'énerverait pas. « Dis-moi, Oscar ... Est-ce que tu as bu ? Rien qu'un verre ? Je t'en voudrais pas, au contraire ... » Finalement, il se racla la gorge avant d'aborder le réel sujet qui lui brûlait les lèvres. « Est-ce que tu as ... Fumé quelque chose ? Juste pour tester, je te connais, mais ... Ou, pris quelque chose ? Ce qui ne serait pas un mal en soit mais, si tu l'avais fait, tu me le dirais, hein ? »

Loin d'imaginer ce qui était réellement en train de se passer, Callum fixait son ami, incrédule. Après toutes ses années, il le connaissait par cœur : il pouvait finir ses phrases, le comprendre d'un regard, le faire rire d'une simple mimique ... Jamais il ne l'avait aussi peu compris. Ses sentiments vacillaient entre incompréhension et frustration. Et plus le blond lui parlait, plus ces sentiments s'intensifiaient en lui. Bien qu'au fond ... Il ne pouvait réprimer une petite part de lui qui dansait et se dandinait dans tous les sens face au comportement d'Oscar. Et il se détestait pour ça. Il savait, il sentait bien que quelque chose n'allait pas ... Cependant, il ne pouvait pas s'empêcher de trouver ça un minimum grisant. Inquiétant, certes, mais grisant.

Malgré tout, le sorcier démentait de toutes ses forces les accusations du brun. Sentant qu'il ne serait certainement pas bon pour lui d'insister, il se contenta d'acquiescer, le surveillant du coin de l’œil tout de même. Tout ce qui se passait lui échappait et il n'appréciait pas ça du tout. Et ce qu'il apprécia encore moins fut la main posée sur sa joue. Sursautant, il posa aussitôt l'une des siennes par-dessus. Pas qu'il l'incitait, non, mais ça lui permettait plus ou moins de superviser ses mouvements. A défaut du reste ... Difficilement, il acquiesça à l'affirmation du blond. Il le croyait, oui, mais alors comment expliquer ce qui se passait ... Sentant que tout s'embrouillait dans sa tête, il fit un pas en arrière et brisa leur contact. Fouillant frénétiquement dans son sac, il mit la main sur ses cigarettes et s'en offrit une sans même songer à en proposer à Oscar, ses esprits étant occupés à bien d'autres choses. Changer d'endroit, hein ? Quelle merveilleuse idée. En espérant que le changement de lieu ferait aussi changer son comportement.

« Ouais … Je connais une espèce d’auberge pas loin, je m’y arrête souvent pour boire un verre après les cours, corriger des copies … Enfin du bordel de prof quoi. » Même son discours s’embrouillait … « Marcher un peu me- nous fera du bien. »

Oui, il avait définitivement besoin de marcher pour s'aérer. Puis pour refroidir aussi. En plus de l'embrouiller, la situation lui avait facilement fait gagner quelques degrés ... Il coupa court à toute discussion pendant le trajet, voulant profiter de ce très court moment de répit pour remettre ses idées en place. A peine quelques minutes plus tard, ils y étaient déjà. L'heure n'étant pas si avancée, l'auberge fût presque vide et ils purent prendre place sur une banquette ronde dans un coin de la large salle. Après avoir machinalement commandé une Guinness pour le blond et un Baileys pour lui, il ôta son manteau et s'installa confortablement.

« Merde, tu voulais peut-être autre chose ? Je peux la rappeler sinon, c’est pas important … » D’un sourire gêné, Callum se dépêcha de se mettre à parler. Il voulait surtout éviter que la situation ne dérive de nouveau, alors il monopolisait la parole. Pour le moment du moins. « Ça c’est bien passé à la librairie ? » puis sans lui laisser le temps de répondre « Niveau cours, moi ça va. La directrice est toujours aussi chiante et aigrie mais je fais avec, je veux dire, on fait tous avec, on a l’habitude … Puis on le fait pour les élèves, pas pour elle. C’est vraiment l’une des raisons qui font que j’ai hâte de pouvoir enseigner à l’Université. Quoi que je sais pas si j’arriverais à lâcher mes lycéens … Ils sont tous si attachants au fond … »

Le sang de Callum venait de se geler dans ses veines. Son cœur avait cessé de battre et ses poumons de respirer. Une seconde, il eut l’impression d’avoir quitté son propre corps tant il ne ressentait plus rien. Oscar l’embrassait. Ses lèvres étaient sur les siennes et il était tellement troublé que ses propres sentiments étaient incapables de se décider. Puis comme s’il avait reçu une gifle, il revint à la réalité. Désormais, il avait moins d’une fraction de seconde pour réagir. Deux possibilités s’offraient à lui. La première ; il envoyait au diable toute sa retenue, sa pudeur, tous ces principes moraux qu’il s’obligeait à respecter et qui le rendait petit à petit fou. Son ami lui donnait l’accès à tout ce qu’il s’empêchait de faire depuis des mois, depuis que ses idées s’embrouillaient en sa présence et que son cœur ne répondait plus de rien. Il était là, offert. Il n’avait qu’à poser les mains sur lui et à profiter, à partager ce baiser. Puis il y avait la seconde option. Celle qui sous-entendait de rester lui-même, d’être plus fort qu’une basse pulsion qui pourrait mettre un terme à plus de dix ans d’amitié. Finalement, il n’avait fait aucun choix. Il ne rejetait pas le sorcier, tout comme il ne l’encourageait pas. D’un sens, il fuyait, comme il l’avait toujours fait. Cependant, il le regretta à la seconde où ses lèvres furent libérées de leur emprise. Il passa quelques secondes à fixer le blond, tentant de comprendre, d’analyser. Mais une fois redescendu sur Terre, la réalité le heurta de plein fouet. Dans l’incompréhension la plus totale, l’enseignant se mit à imaginer des tas et des tas de raisons à ce qui venait de se passer. Et lorsqu’il en choisit une lui semblant convenable, il fut partagé entre la colère et une profonde tristesse.

« Oscar ... Est-ce que ... Tu as compris ? Parce que si c'est à cause de ce que je ressens que tu agis en te foutant de moi comme ça c'est horriblement cruel. Tellement cruel que je n'imaginais même pas que t'en sois capable. »

Callum parlait les dents serrées, la mâchoire crispée et juste assez fort pour être audible. Il savait que le guitariste n'était pas si idiot, qu'il finirait bien par s'en rendre compte. Combien de fois avait-il envisagé la discussion qu'ils auraient après qu'il l'ait appris ? Il l'imaginait en colère, se sentant trahi, utilisé, quelques fois triste ou de temps en temps indigné. Mais jamais il ne l'avait imaginé aussi dur. Est-ce qu'au fond leur amitié avait si peu compté à ses yeux ? Si peu compté qu'il lui suffisait de se sentir trahi ou qu'en-savait-il pour tout envoyer en l'air et vouloir faire du mal à celui qui s'était considéré comme son meilleur ami depuis quinze longues années ? Le coeur de brun se tordait dans sa poitrine. Il aurait dû battre à une vitesse ahurissante sous l'effet de la peur ou de l'appréhension mais il se sentait tellement ... déçu, que même son palpitant hésitait à faire son travail. Sans même oser le regarder dans les yeux, la voix tremblante, le professeur lâcha ce qu'il avait à dire dans ce qu'il redoutait être leur dernière discussion.

« Je sais que ça doit pas être simple à entendre ... Mais c'est pas plus simple pour moi à admettre. Notre ancienne relation reviendra jamais de toutes façons alors ... J'aimerais que tu puisses faire ce que tu as toujours fait, me dire que tu m'aimes, que tout ira bien et que je m'en fais encore une fois pour rien. Mais cette fois-ci c'est pas possible. Et même si ça m'fais peur, je pourrais plus jamais te dire que je t'aime de la façon dont tu l'entends. »

Callum ne savait plus quoi penser. Il hésitait entre être en colère, ou être profondément déçu. Ses mains s'étaient crispées autour de son verre tandis qu'il se refusait à regarder le blond. Il ignorait ce qu'il se passerait si son regard devait croiser le sien maintenant. Si la colère prenait le dessus, ce qui était rare mais n'aurait pas été étonnant vu la situation, il le frapperait certainement. Si c'était la déception, il fondrait en larmes avant de partir et de souhaiter ne plus jamais le revoir jusqu'à sa mort. Il aurait même certainement déménagé, hors de Wincap, et n'y reviendrais que pour le travail. La main qui se posa sur sa cuisse interrompit ses pensées, puis fût immédiatement chassée. L'enseignant serrait les dents, autant qu'il pouvait, alors qu'il se sentait défaillir. Rien de bon ne pourrait ressortir de tout ça. Il aurait dû s'en douter, il aurait dû savoir et se contrôler avant qu'Oscar ne tombe sur le pot-aux-roses. Et comme s'il n'était plus vraiment lui-même à nouveau, il l'entendit lui beugler qu'il l'aimait. Le brun baissa la tête et plissa les yeux pour s'empêcher de se mettre à pleurnicher comme un enfant. Il ne comprenait plus. Ca y est, son petit tour avait fonctionné, il pouvait arrêter maintenant ! Il n'y avait plus besoin de faire ça ! Sa question sonna comme une insulte. Au bout du rouleau, le bouclé posa les coudes sur ses cuisses et reposa son visage dans ses mains, marmonnant difficilement un « Comment t'ose dire que c'est moi qui veut pas de toi ... » à peine audible. Mais la dernière remarque du libraire le força à choisir entre colère et déception. La colère gagnait. Près à hurler contre lui, il aperçut enfin les larmes du blond. Sans ne plus rien comprendre, il se précipita pour le prendre dans ses bras. Sa rage avait fondue comme neige au soleil et avait laissé place à l'incompréhension la plus totale. Il avait l'impression d'être revenu en arrière, mais d'avoir échangé les rôles. La situation était impossible.

Et enfin, il comprit. Tandis qu'une de ses mains appuyait doucement contre son épaule et que l'autre caressait ses cheveux, il avait finalement saisi. Des tas de scénarios s'étaient à nouveau formés dans son esprit, tous les plus farfelus les uns que les autres, mais il avait mis le doigt dessus. Cette boite de chocolat. Cette putain de boîte de chocolat ! S'il foutait la main sur la sale gamine qui avait fait ça ! Soupirant, il ne pouvait s'empêcher de se sentir mieux. Certes, il s'était confessé alors que visiblement, le guitariste ne savait encore rien de ses sentiments. Mais tant pis. Ca devait arriver, et il le savait. Puis il préférait savoir son ami, drogué, avec lui qu'avec une greluche sans scrupules. Dieu sait ce qui aurait pu se passer. Maintenant il n'avait plus qu'à arranger la situation jusqu'à ce que l'effet du philtre ne s'estompe. Doucement, il s'écarta de lui, essuyant d'un mouvement de la main ses larmes. Il garda son visage entre ses paumes pour le forcer à le regarder.

« Oscar ... On s'est juste mal compris, ok ? Tout va bien ... Tu sais que je t'aime, et si tu l'sais pas, je vais te le dire : Je t'aime. Alors tout va bien maintenant, hm ? » Du pouce, il caressa tendrement sa joue. « Tu veux que j'te dise ? On va s'commander une pizza et acheter une tonne de glace. Comme ça, on va rentrer chez toi, s'coller sous une couette et mater des tas conneries à la télé. Ca te va ? » Et d'un mouvement fluide, il embrassa sa joue, murmurant à son oreille un « Je suis désolé ... »

Callum n'avait strictement aucune idée des effets d'un philtre d'amour sur la personne qui en était victime. Et oui, il considérait véritablement ceux sous le joue de la potion comme des victimes. A ses yeux, manipuler l'esprit, les sens, et surtout les sentiments de quelqu'un, comme ça et sans remords, c'était un viol. Et dans tous les sens du terme. Que ce soit de la vie privée ou du plan physique aussi. Il n'était pas sûr de grand-chose, mais il était persuadé qu'une fois sous l'emprise de faux sentiments, on était vite mené à l'aspect pratique de l'amour, d'autant plus si l'empoisonneur sait s'y prendre ... Il aurait remercié le ciel des heures durant qu'Oscar soit tombé sur son charme plutôt que sous celui dont il était censé le faire. Le brun contenait difficilement une terrible colère au fond de lui. Comment pouvait-on être aussi ... Aussi vicieux et pervers pour faire ce genre de choses. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer des tas et des tas d'images passer dans son esprit. Des images de son ami et de cette femme - ce qui était profondément ironique par-dessus le tout - ensemble, son regard hypnotisé, cette sale ... en profitant. Et bien qu'il soit profondément énervé par le fait qu'on ait drogué le musicien, il ne put s'empêche d'être jaloux une seconde. Le blond se débrouillait déjà assez bien tout seul pour se trouver des aventures de temps en temps pour qu'en plus on vienne en rajouter !

Serré contre le libraire, le bouclé n'aurait su dire qui d'eux deux était réellement en train d'être réconforté. Certes, il avait conscience d'avoir blessé son ami d'enfance avec ses propos, mais ce n'était pas de sa faute si son esprit était comme embrouillé par ce philtre ! Et ceci dit, rien de la déception et de la colère qu'il avait ressentie à son égard n'avait été justifiée non plus ... Cependant, l'ascenseur émotionnel qu'il venait d'endurer l'éprouvait un minimum. Il avait appréhendé, avait été soulagé, puis triste, déçu, en colère, indécis ... Puis encore soulagé, tandis qu'il nageait maintenant dans le doute. Il n'avait strictement aucune idée de comment se sortir de cette situation. Il ne connaissait personne capable de lui fournir un antidote ou bien d'en préparer ... Et les boutiques étaient fermées à cette heure, quand bien même il en trouverait la recette. Et par-dessus tout, il n'avait pas la moindre idée de comment il était censé agir avec l'irlandais. Il suivrait son instinct. Advienne que pourra.

Tandis qu'il lui parlait, les mains de l'enseignant glissèrent contre sa peau, comme si le lâcher brusquement allait le casser. Elles dégringolèrent le long de ses joues, puis contre sa nuque, jusqu'à aller serrer ses mains dans les siennes, pour finalement les lâcher. Maintenant qu'il le regardait attentivement, il se maudissait de ne pas avoir compris dès la première seconde. Tous ses traits étaient changés, comme transformés. Comme si c'était le bon corps, mais en aucun cas la bonne âme. Même sa voix était différente. Il n'aurait su expliquer en quoi, mais il le sentait.

Voir le guitariste retrouver le sourire embauma le cœur de l'écossais. Même un sourire aussi faussé lui allait, vu la situation. Et puis il acceptait ses excuses, alors tout allait bien. Ou presque bien. Il paierait, puis ils pourraient rentrer. Avec un certain amusement, Callum remarqua qu'il utilisait le verbe rentrer, comme si c'était chez lui, alors qu'il songeait à se rendre chez le blond. Après toutes ces années, c'était tout comme après tout. Leurs vies étaient intimement liées, certainement même trop pour de simples meilleurs amis. Certainement pas assez, en revanche, au goût du brun ... Même s'il chassa rapidement cette pensée de son esprit. Vu les circonstances, il valait mieux oublier tout ce genre de sentiments et de ressentis ...

Et de toute façon, son fil de pensée aurait été interrompu par la main qui venait de se poser sur son bras. Le ton enfantin d'Oscar l'amusa. Il avait l'impression de s'occuper d'un chérubin. Chérubin certes prêt à lui déclarer son amour et à l'embrasser mais ... Dit comme ça, c'était malsain. Et pourtant même si sa voix était infantile, son corps lui, n'était pas moins celui d'un homme qu'à son habitude. Il ferma les yeux un instant et se concentra vite sur autre chose. La note de bar, tiens. Une fois la somme en tête, il adressa un sourire au musicien et se releva, terminant d'une traite son verre quasiment intact de Baileys. Peu importait, il préférait porter toute son attention sur lui désormais.

« On va les chercher, ces glaces ? » Rapidement, il enfila son manteau et enfoui le bas de son visage dans une épaisse écharpe en laine noire. « Et bien sûr qu'elles seront au chocolat ... Si tu me laisses choisir la pizza. »

Distraitement et comme un enfant, il lui tira la langue discrètement avant d'aller régler leurs consommations et de passer la lourde porte de l'auberge. Il ne s'en était pas rendu compte, mais la lune brillait déjà bien haut au-dessus de leurs têtes. En cette période de l'année, ça n'avait rien de très surprenant. Pas plus que l'air sec qui balayait ses joues et les quelques flocons qui tombaient délicatement sur les pavés des rues. Il se demanda un instant si cette neige était réelle où si la magie la faisait apparaître ici.


Finalement, lorsqu'ils furent arrivés à l'appartement les bras chargés de victuailles, c'était bien un quart d'heure plus tard. Machinalement, Callum alluma la télé et s'occupa de ranger deux ou trois affaires qui traînaient, comme une mère l'aurait fait dans l'appartement de son fils.

« Choisi ce que tu veux qu'on regarde, je range ce qu'il y a à ranger et on mange ! » vu l'état du blond, il préférait qu'il fasse le moins de choses possibles, et surtout qu'il ne se serve pas de sa magie. Rapidement, les glaces furent au congélateur et le brun, débarrassé de sa veste et de ses chaussures, prit place au côté de son ami, tendant le carton de la pizza et des essuie-touts. « T'as intérêt d'avoir choisi correctement ! »