Ces yeux bleus... si bleus, d'une profondeur et d'une complexité peu commune... Le psychiatre l'observe. Qui est ce gamin. Il reste là, assis, à le fixer. Lui, le mome, il regarde ses pompes. il n'a pas envie que ce type soit là. Les deux autres avant lui sont partis, alors pourquoi celui là serait différent...? Ils sont cruels... idiots... et pensent tout savoir mais le mome, lui, il sait. Il sait qu'il n'est pas fou et qu'il peut voir. Mais il sait aussi qu'il doit dire le contraire. Il ne sait plus ce qu'il doit faire et ça lui fait peur. Il ne veut pas regarder cet homme. Son taux de stress augmente, encore et encore et il commence à se triturer les doigts, se grattant la peau des phalanges sans les écorcher, c'est juste machinal. Sa langue parcourt ses dents derrière ses lèvres closes, et son regard s'allume doucement de mille expressions, mille pensées. Il perd pied un peu plus. Il sait qu'il ne veut pas le faire, il sait qu'il ne doit pas passer la frontière. Il sait qu'il peut être fort, mais qu'il en devient malsain, la vérité affluant dans sa bouche comme une vipère obscure. Il aurait pu être fourchelangue si on l'y avait poussé et virer mangemort. Mais ce monde là lui était encore inconnu. Et il a une conscience. Il se bat. Le Hugo n'est pas mauvais... mais il sait se protéger. Et la seule solution qu'il a trouvé face à cette injustice, face à ces violences, face à ces intrusions, en plus de la lourdeur de son propre être, c'est ça. Le Hugo blanc, et le Hugo noir. Arlequin. Il est l'arlequin visionnaire. Il est jeune mais il sait. Et cet homme lui pose des questions sans qu'il n'y réponde, alors il en pose d'autres, encore et encore. Il pense sincèrement que l'une d'entre elles va le faire réagir? Les autres avaient fait autrement mais avec moins de forcing, moins de manière direct. Hugo crispe une main, il s'allonge sur son lit en gémissant et s'écrase un coussin sur le visage. Qu'il se taise, il n'en peut plus. Cela fait trois quart d'heure, peut-être plus. Qu'il se taise, qu'il la ferme! Sa respiration s'accélère et les larmes s’imprègnent dans le coussin. Ce type est même pas psychiatre si ça se trouve. Ils disent qu'il est médecin catholique, qu'ils l'ont fait venir exprès pour avoir un avis différent. Mais Hugo ne veut pas! Il veut qu'on lui foute la paix, il veut qu'on arrête de le harceler et de vouloir le soigner! Pourquoi pensent-ils qu'il est malade? Il le vit comme une maladie c'est vrai , tant c'est malsain la vision qu'on lui montre de lui-même. Un monstre, un fou , qui s'imagine des choses. Pourtant son grand père lui a dit qu'il n'était pas fou, pourtant son grand père lui a confirmé qu'il y avait de cela plusieurs générations, un autre était comme lui... et lui, les gens l'aimaient non? Alors pourquoi lui, on ne l'aime pas.... Pourquoi doit-il guérir? Il a lu des livres de psychiatrie, il est loin d'être con. Il n'a que treize ans, mais il a lu... Il existe une maladie, la paraphrénie, une autre s'appelle psychose délirante... Que ça peut-être génétique... Son grand père et lui en souffriraient ? Il veut guérir, si c'est possible. Et l'autre qui continue avec ses questions et ses explications. Lui, veut juste que ça s'arrête. Lui, veut juste qu'il se taise. Et pourquoi, et tu sais , Hugo, il a des gens qui... et pourquoi tu te caches, tu te fuis? Et .... Et ... ça tourne dans sa tête comme un fléau putride, des viscères spirituelles qui tentent de lui prendre son âme. Il se tord sur le lit en grognant aigu dans le coussin, répétant une fois: je ne vois rien, s'il vous plait , laissez moi tranquille...   Dénégation. Voila tout ce qui sort de la bouche de cet homme. Dénégation. Connard , c'est toi la dénégation.... Pardon il voulait pas dire ça... Non... Il doit se calmer, mais l'autre continue de parler. Il pense tout savoir. Il dit tout savoir, mais il ne sait rien. Il ne sait rien. Les doigts de Hugo se crispe sur le coussin. Non, il ne sait rien, mais toi tu sais Hugo, alors tu attends quoi. Non , il ne doit pas. Son père sera furieux et le frappera pour l'aberration qu'il est. Encore. Et sa mère ne bronchera pas. Il n'a ni frère et sœur pour être témoin. Alors c'est facile. Hugo tique de l’œil, puis de l'autre et se gratte le bras, en se murmurant qu'il ne voit rien, non il ne voit rien. Il ne doit rien voir. Il ne doit rien voir... Le temps s'accélère. Comme les battements. Son cœur flanche. Les traits de son visage se raidissent. Les lèvres se desserrent. Les muscles contractés se relâchent doucement et son souffle tremblant disparait peu à peu. Comme s'il mourrait. Mais il ne meurt pas. Il doit se taire. Cet homme doit arrêté de parler ....
Tais toi... ch... Écoute les oiseaux dehors... Eux ne blasphèment pas.... Leur chant est mélodieux, reposant. Toi tu craches sur ma conscience comme si tu savais tout mais tu ne sais rien. Si tu savais, tu serais parti. Comme les deux autres...
Hugo parlait. Sa voix était plus grave, lente et calme. Son corps bougeait à peine. Son visage apparut par dessous le coussin. D'abord un œil, bleu, perçant, profond, qui fixait le docteur religieux comme s'il était une proie, un être à étudier. Il se rapetit, alors que le docteur plissait les yeux intrigué, et surpris. Hugo, pousse un peu le coussin et son regard entier apparait sous une touffe de mèches sublimement désordonnées. A présent que tu l'as réveillé, assume doc. Le gosse se rassoit lentement. Plus un tremblement, sauf la main un peu mais il se la frotte et cela va passer, il le sait. Il regarde par la fenêtre et se pince les lèvres pensif.
- Vous savez, le meilleur dans tout ça, c'est que vous pensez avoir gagner.
- Ce n'est pas le cas? Quel est ton nom dis moi?
- Hugo. Perdu , je suis pas un autre. C'est pas ce que vous vouliez voir?  
Il a un sourire doux en coin et penche la tête, son regard s'intensifiant. Il perfore celui du docteur d'un seul coup. Ce dernier ne sent rien, se demande ce qu'il fait. Il continue de le regarder. Hugo ne lâche rien, ses chevilles dans ses mains, en tailleur sur ce lit qu'il n'a pas quitté de la journée, encore en pyjama. Il penche la tête sur le coté, tique de l’œil, grimace et se porte une main sur un œil, en gémissant un peu , baissant les yeux.
- Tes parents t'ont déjà fait faire des examens pour une tumeur au cerveau? Tu sais ce que c'est n'est-ce pas?
Un léger rire, et il secoue la tête en se tenant toujours l’œil, un peu perturbé cardiaquement. Il renifle et s'essuie l’œil qui a pleuré avec sa manche.
- Vous êtes vraiment nul.
- On ne dit pas ça à un médecin Hugo.
- Bah je le dis.
Hugo redresse la tête et le fixe, sûr de lui, le regard humide et mille fois plus fourni que les mots.
- Vous ne savez rien. Vous savez pas ce que je suis. Vous pensez, mais vous pensez mal. Je suis pas malade. Mais moi je sais.
Un sourire renait doucement sur ses lèvres qui s'étirent et son regard s'englobe d'une lueur puissante et ciblée. Le gosse ignore qu'il renferme un potentiel incroyable, et même dix ans après, pas sûr qu'il en saisira toutes les brides.
- Dis moi Hugo, je t'écoutes. Que sais-tu?
Et il continue de garder cette assurance stupide, comme s'il le prenait pour un déficient.
- Je sais pour la porte D013... Ça vous a fait quoi de la laisser mourir...?
Il penche la tête sur le coté en le fixant. Tellement calme. Grave et léger à la fois. Le docteur, lui, se fige et affiche un visage brutalement perturbé. Il regarde par la fenêtre, dans la chambre, partout. Il y a forcément une explication. Il refixe le garçon qui ne l'a pas lâché du regard et qui fait claqué sa langue sur son palais, gardant la bouche ouverte, sourcils haussés.
- Checkmate mon père. Quoi, l'église aime pas les rousses...? C'est dommage, parce que.... même si j'ai déjà vu pire d'autres fois... Bah... Vous lui avez fait un bébé... Son ventre était rond... je l'ai vu. Mais elle était malade...Je crois. Vous l'avez laissé mourir, elle vous a supplié... J'ai les entendu... là...
Hugo sourit en penchant la tête pour tapoter sa tempe du doigt.
Votre veste... regardez. Là. Mon père... M. Bersier... M comme martin? C'est beau. Dieu doit pas être content c'est ça...? Elle est morte. Toute blanche! Pas comme votre conscience... C'est fini mais moi je sais. Alors... sois vous me laissez tranquille... sois... ça se pourrait que j'accepte de vous suivre là bas... parce que je sais que vous voulez m'envoyez à l’hôpital pour les fous... J'ai treize ans... c'est pas beaucoup mais j'suis pas débile...Je ferai exprès de vous appeler toutes les heures en hurlant ce que vous avez fait.
- C.... Comment tu sais. C'est impossible. Tu ...
- Je l'ai vu. C'est tout.
- Non, Baliverne. Tu l'as inventé. J'en parlerai à tes parents, nous allons te mettre sous traitement et...
- Ça ne changera rien. Et puis... Le dieu que vous priez tous les jours... ça ne lui fera qu'une raison de plus de pas vous croire. Vous êtes mal barré, vu que j'ai rien fait de mal.

Hugo regarde ses doigts et se les tripote de manière détachée. Il est juste neutre, a l'habitude, et puis il a vu tellement pire des fois. Ce prêtre est juste un vilain pervers lâche...  mouais. Comment peut-on encaisser de cette manière à cet âge... Et pourtant il le fait. Il se frotte le nez et le regarde de nouveau, ne comprenant pas pourquoi le père fait cette gueule.
- Ça va pas?
- Tu es envoyé pour me punir c'est ça. Tu as les yeux du démon, tu vois des choses, mais ce n'est pas normal....Je vais en référer à mes supérieurs et nous aviserons.
- C'est pas une bonne idée... Bah oui, si vous en parlez, et que vous avez peur, ça veut juste dire que j'ai raison. Après, ça va être moche pour vous....On peut dire qu'y s'est rien passer...
Un autre sourire gentil. Hugo, te rends-tu compte d'à quel point tu commences à être décalé... ? Non, pour lui c'est naturel. Du blanc au noir, et du noir au blanc. Le prêtre se lève et lisse sa veste, nerveux. Il est tout crispé de partout et Hugo l'observe, avec son grand regard plein de vie et qui fait autant peur qu'il attire et intrigue. Que se passe-t-il dans cette tête. La porte s'ouvre soudainement et le père entre:
- Bon, ça fait presque deux heures, vous en êtes où mon père?
- Je crois que je n'ai rien à faire ici Mr De L"Erault. Votre fils est .... va très bien.
Hugo a baissé le regard, mais n'a pas bougé. Il écoute, neutre. Il a peur intérieurement mais ne montre rien. Le père foudroie le père et lui prend le menton pour le fixer dans les yeux.
- Il vous a dit quoi.
- Rien, je vous assure. C'est ... cet enfant , c'est ... il a les yeux du diable... je dois être malade, je délire... je vous prie de m'excuser, j'ai à faire. Des cas plus sérieux m'attendent.
Il se libère de l'emprise de l'homme qui tourne lentement la tête vers son fils, laissant le père s'enfuir.
- Encore. Cette fois-ci c'était quoi. Tu ne vas donc jamais t'arrêter? Je t'avais dit de ne rien voir ! Tu vas voir, on va te remettre ça en tête.
Hugo ne bouge pas. Il sait ce qui l'attend. Peut-être que l’hôpital aurait été un meilleur choix.

La porte se claque... Demain Hugo aura des pansements... et dormira toute la journée...

Imaginez 14 ans après...